Un rapport de l’Inspection générale d’État (IGE) révèle une des plus vastes opérations de mauvaise gestion de fonds publics dans l’histoire récente de la Mauritanie. Entre 2019 et 2025, plus de 13,8 milliards d’ouguiyas ont été injectés dans des projets d’éducation, d’eau potable et d’assistance sociale… sans résultats visibles sur le terrain.
Selon les conclusions de l’IGE, rendues publiques en 2022 après 19 missions d’audit, une partie importante de ces fonds a été dépensée sur la base de documents incomplets ou fictifs. Parmi les anomalies relevées, 8 milliards d’ouguiyas de factures sont qualifiées de gonflées ou inexistantes. L’IGE a recommandé le remboursement de 2,7 milliards, mais à la date du rapport, seuls 1,3 milliard avaient été récupérés.
Dans l’éducation, des projets de construction d’écoles dans les régions du Hodh et du Tagant ont été financés en totalité, mais certains n’ont jamais vu le jour. D’autres établissements ont été livrés puis se sont effondrés en moins d’un an. Des paiements ont pourtant été effectués, parfois sans factures finales, au bénéfice d’entrepreneurs connus de l’administration.
Même constat dans le secteur de l’hydraulique, où des milliards ont été dépensés pour des forages et réseaux d’eau dans des localités comme Bassiknou ou M’Bout. De nombreux ouvrages sont inachevés, hors normes, ou simplement inexistants. À l’ancienne Agence de solidarité nationale, aujourd’hui dissoute, des projets sociaux prétendument réalisés n’ont laissé aucune trace concrète.
Les mécanismes de fraude décrits par l’IGE sont désormais bien connus : surévaluation des marchés, utilisation de sociétés proches de certains responsables, absence de contrôle rigoureux, et généralisation des paiements anticipés. Certains fonctionnaires des ministères concernés sont accusés d’avoir facilité ou couvert ces pratiques.
Parmi les noms cités : un ancien directeur des marchés du ministère de l’Éducation, des entreprises du bâtiment comme “Sahraoui” ou “Imrane 2020”, et l’ex-directeur financier de l’Agence de solidarité, décédé avant que la justice ne puisse l’entendre.
Malgré la gravité des faits, peu de sanctions ont suivi. La majorité des dossiers transmis à la justice restent sans suite, et aucune condamnation publique n’a été rendue. « Nous avons des preuves irréfutables, mais une fois que les dossiers atteignent la justice, tout s’arrête », confie un inspecteur de l’IGE.
Cette inertie judiciaire soulève des questions sur la volonté politique de lutter contre la corruption. Le rapport dénonce un système où les irrégularités sont repérées mais rarement punies, laissant aux auteurs de ces détournements la possibilité de continuer à opérer, souvent depuis les mêmes bureaux.
Pour les citoyens, le bilan est lourd : des enfants privés d’éducation, des populations sans accès à l’eau potable, des familles vulnérables privées d’aide. Treize milliards d’ouguiyas disparus, et des responsables toujours intouchables.