Depuis plusieurs mois, une série d’attaques d’une audace inédite ébranle le cœur du Sahel. Du Mali au Burkina Faso, en passant par le Niger, des groupes armés étendent leur emprise à une vitesse alarmante, déstabilisant des régions entières et s’approchant dangereusement des centres de pouvoir. À Bamako, les faubourgs de la capitale malienne ont été effleurés par la menace. À Tombouctou, cité emblématique du patrimoine africain, la guerre frappe à nouveau aux portes. À Djibo, au Burkina Faso, les assaillants ont occupé la ville pendant plusieurs heures, imposant leur présence à une population de plus de 300 000 habitants, comme pour signaler que plus aucun espace n’est à l’abri.
Selon François Soudan, directeur de publication de Jeune Afrique, la stratégie des groupes armés est désormais claire : asphyxier les capitales en les encerclant à distance. Les embuscades se multiplient sur les grands axes routiers, les attaques ciblées visent les infrastructures stratégiques, et l’effet d’étouffement gagne du terrain. Bien que leur capacité à tenir durablement une ville reste limitée, leur implantation dans les zones rurales est devenue massive, presque systématique. À cela s’ajoute une évolution technologique notable : les groupes disposent désormais de drones, qu’ils utilisent de plus en plus pour le repérage et les frappes ciblées — un saut qualitatif dans leur arsenal.
Sur le plan économique, les mutations sont tout aussi préoccupantes. Faute d’objectifs politiques explicites, ces groupes ont délaissé la lucrative industrie des prises d’otages occidentaux. À la place, ils ont instauré une fiscalité parallèle. La zakat, traditionnellement une aumône religieuse, est désormais perçue comme un impôt imposé aux populations — en numéraire, en bétail ou en récoltes — transformé en instrument de financement sous contrainte. Pour François Soudan, il s’agit ni plus ni moins d’un système organisé de racket. À cela s’ajoute l’exploitation artisanale de l’or, notamment dans le tristement célèbre « triangle des frontières » à cheval entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui constitue un autre pilier économique du jihadisme régional.
Mais le phénomène dépasse aujourd’hui les frontières de ce trio sahélien. Le Bénin et le Togo sont désormais exposés à la menace, tout comme les zones frontalières du Sénégal et de la Mauritanie. Une stratégie de pénétration discrète, mais déterminée, s’opère en marge des radars officiels. Des groupes salafistes, parfois affiliés à la coalition du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), s’enracinent dans les marges, là où l’État est souvent absent. L’Institut de Tombouctou l’a récemment documenté dans un rapport rigoureux : ces groupes exploitent les fractures sociales — système de castes, mémoire de l’esclavage, inégalités persistantes — pour tisser un discours de rupture et offrir aux exclus un nouveau récit, une sorte de théologie du soulèvement.
À l’heure où les États de la région peinent à proposer une réponse unifiée et cohérente, François Soudan conclut sur une mise en garde qui résonne comme une alarme :
« L’erreur serait de croire que cela ne concerne que les autres »,
prévenait déjà le général Maysa Cissé Ndiaye, ancien chef d’état-major général des armées sénégalaises.