Le nom de Yarg Ould Maatalla, rescapé de l’esclavage en 2011 et récemment admis au baccalauréat au Sénégal, est au cœur d’une controverse qui dépasse son simple succès scolaire. Ce jeune homme, autrefois symbole vivant de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, est aujourd’hui projeté malgré lui dans une joute politique et médiatique entre ses anciens protecteurs, des activistes abolitionnistes, et des voix critiques qui dénoncent une instrumentalisation de son histoire.

Le débat a été relancé après la publication, le 7 juillet, d’un texte de l’avocat et ancien bâtonnier Ahmed Salem Bouhoubeyni, qui s’est dit choqué par la manière dont la réussite de Yarg a été utilisée publiquement.

“J’ai vu comment cette réussite a été célébrée, et comment elle a été exploitée politiquement et médiatiquement”, écrit-il. “Mais il est injuste – voire cruel – que cette libération devienne un nouveau lien.”

Pour Me Bouhoubeyni, le jeune Yarg mérite aujourd’hui d’être reconnu pour ce qu’il est devenu — un élève brillant, un jeune homme éduqué — et non éternellement renvoyé à ce qu’il a été. Il critique ouvertement ceux qui, selon lui, “rappellent sans cesse à Yarg qu’il n’était rien avant d’être sauvé”, et compare cette posture à une forme subtile d’humiliation récurrente.

“Yarg n’est pas une cause, ni un trophée. Il est un jeune homme qui mérite qu’on le voie pour ce qu’il devient, pas pour ce qu’il était”, affirme-t-il.

Mais cette critique n’est pas restée sans réponse.

Dans un communiqué publié peu après, l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), présidée par Biram Dah Abeid, est montée au créneau pour défendre son rôle historique dans la libération de Yarg et de son camarade Said. Le mouvement y dénonce une “campagne de diffamation” ciblant son président et son épouse, Leila Ahmed, accusés par certains internautes et proches du pouvoir de “se servir de Yarg à des fins personnelles et politiques”.

L’IRA rappelle que Yarg et Said ont été libérés par ses soins en 2011, puis hébergés et pris en charge personnellement par Biram, avant d’être envoyés au Sénégal en 2017 pour poursuivre leurs études, entièrement à ses frais. Ils y ont été scolarisés dans le privé, enregistrés à l’état civil, et élevés aux côtés des enfants du militant.

Le mouvement dénonce l’agacement de certains soutiens du pouvoir face à cette réussite, qu’ils estiment “accaparée par un opposant”, alors qu’elle pourrait être interprétée comme un échec du système éducatif mauritanien.

“Le parcours de Yarg n’a rien d’un miracle, mais il est le fruit d’une étreinte pudique entre la conviction et la patience”, conclut l’IRA.

Derrière cette passe d’armes, se joue un débat plus profond : peut-on raconter le passé d’un homme sans l’y enfermer ? Peut-on honorer une libération sans transformer le libéré en support de mémoire ou de légitimation ?

Le cas Yarg illustre, une fois encore, combien la mémoire de l’esclavage reste vive, douloureuse, et difficile à dissocier des luttes politiques actuelles en Mauritanie.

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