Le Calame – Les électeurs mauritaniens se sont rendus aux urnes pour le second tour des municipales, régionales et législatives de Mai 2023.À l’instar des résultats du premier, l’INSAF, principal parti de la majorité présidentielle, a remporté la plupart des trente-six sièges en ballotage.
Selon les chiffres, il en aurait encore gagné vingt-sept, portant ainsi son total à cent sept sur les cent soixante-seize que compte le Parlement. Une majorité très confortable, donc. Pouvait-il en être autrement ?
Le parti du pouvoir et son gouvernement n’ont pas lésiné sur les moyens. Dès le lendemain du 1ertour, cadres et ministres ont été redéployés sur le terrain pour s’assurer la victoire, en renforçant les coordinations régionales mises en difficulté.
Ils ont presque tous exclu de leur lexique le verbe « perdre ». Et usé à cette fin de tous leurs moyens pour influer sur le choix des électeurs ; argent et intimidation des hautes autorités de la République notamment. Risquant de perdre leur poste en cas de défaite des candidats du parti, les directeurs d’établissement étaient sous pression. Les leçons apprises sous Ould Taya ont donc été toutes réchauffées.
Pourtant certains de ces candidats étaient sérieusement menacés en plusieurs circonscriptions, tant par l’opposition que par d’autres partis de la majorité. C’était le cas à Rosso, Boghé, Bababé, Kaédi, Maghama, Sélibaby, Guérou, Atar et Zouérate. Dans la Vallée, l’UDP de Mint Mouknass avait contraint INSAF au ballotage. N’eut été la très forte pression de la part du pouvoir, elle aurait glané d’autres sièges à l’Assemblée nationale.
Mais les jeux sont faits, l’INSAF tient sa victoire. On s’y attendait : en Afrique comme dans toutes les autres dictatures du Monde, la défaite du parti-État est difficilement envisageable, pour ne pas dire inacceptable. Cela dit, le pouvoir aurait pu faire preuve, chez nous, de magnanimité mais les deux tours de scrutin ont simplement prouvé que la démocratie mauritanienne a encore un long désert à traverser.
Le gouvernement s’immisce dans le jeu et use de ses moyens, même les plus retors, pour faire gagner son parti ; tous les cadres et responsables n’avaient qu’à prouver leur « loyauté » au président de la République, en exerçant pressions et chantages, voire régler des comptes à leurs adversaires politiques locaux.
Ont-ils rendu, ce faisant, service au président de la République et à la démocratie mauritanienne? Bien sûr que non. Venu après dix années de régime excessivement centré entre les mains d’un seul homme, Ould Ghazwani avait suscité un grand espoir, surtout avec sa déclaration de campagne, le 2 Février 2019au Stade de la Capitale. Un discours pondéré qui avait rassuré jusqu’au sein de l’opposition. Las ! Il aura suffi de moins de quatre années pour faire déchanter nombre de ses compatriotes. Certes, il a réussi à apaiser l’arène politique en normalisant quasiment les rapports avec l’opposition, préserver le pays du terrorisme qui déstabilise le Sahel, mais pour le reste, presque rien n’a changé.
Excès de zèle
Les prix ne cessent de grimper, le chômage des jeunes aussi. La gabegie qui a gangréné la précédente décennie et sur laquelle le successeur d’Ould Abdel Aziz surfe, grâce, il faut le signaler, au procès de celui-ci, persiste et signe. Le luxe insolent et l’exhibitionnisme dont font montre les cadres et les hommes d’affaires en sont une parfaite illustration.
Est-ce la faute de notre Président ou celle de ceux qui ont réussi à s’incruster dans son système ? Il n’a en tout pas su – ou pu –à ce jour renouveler la classe politique dont certains membres, très décriés sous le régime de son prédécesseur, ont réussi à retourner leur veste, phagocyter le pouvoir, miner le terrain et, partant, barrer le chemin au véritable changement tant attendu.
Ha les zombies, quand ils nous étranglent ! Avec ces élections locales, ils se sont repositionnés en posture de maintenir à flot la barque de Ghazwani. La victoire d’INSAF, alors que les choix du parti et la gestion du gouvernement étaient très décriés, ne s’explique pas. Sinon par l’excès de zèle de certains hauts responsables et du gouvernement. Comment des électeurs qui votaient hier pour l’opposition ont changé d’avis en moins de quinze jours ? Cela dit, si la victoire d’INSAF ouvre une voie apparemment royale au second mandat de Ghazwani, elle est peut-être aussi un nouvel espoir, pour les Mauritaniens, de voir enfin le Président opérer le changement qu’ils attendent de lui.
D’abord en donnant un sérieux coup de balai au sein de son parti et de son gouvernement. Les cadres l’espèrent fortement. L’entrée de jeunes au sein de l’Assemblée nationale ne doit pas être qu’une simple velléité, une retouche cosmétique. Le combat contre la gabegie, les injustices et les discriminations – ces plaies que certains partis et acteurs politiques, reconnus ou pas, ne cessent de dénoncer – doit être mené de façon rigoureuse. Le pouvoir – ou, plus précisément, le « système » comme le dénoncent certains – gagnerait à ouvrir de véritables débats sur plusieurs questions nationales essentielles, plutôt qu’à s’obstiner dans la politique de l’autruche.
Les élections ne règlent pas tous les problèmes. Les leaders de l’opposition ont toujours réclamé le dialogue, le moment serait venu de s’y atteler, à quelques mois de la prochaine présidentielle.
La méfiance entre les communautés de ce pays, le malaise que connaît le vivre ensemble sont des maux récurrents de notre unité nationale. L’arrestation récente, au lendemain du 13 Mai, de Biram Dah Abeïd, le président d’IRA, rappelle celle de Samba Thiam, le président des FPC, au lendemain de Juin 2019. Elles sont toutes deux des manifestations tangibles du malaise et de la méfiance entre les communautés. Les tentatives du président Ghazwani de trouver une solution consensuelle au problème du passif humanitaire, par exemple, est certes à louer mais il doit aller au-delà, en refusant de céder aux oiseaux de mauvais augures.
Dalay Lam
Encadré
Répartition des députés
INSAF, 107 ; TAWASSOUL, 11;UDP, 10 ; FRUD, 7 ; El ISLAH, 6 ; AND, 6 ; KARAMA, 5 ; NIDA El WATAN, 5 ; SAWAB, 5 ; AJD/MR, 4 ; HIWAR, 3 ; HATEM, 3 ; EL VADILA, 2 ; COALITION UPC/EL VADILA, 1.;PMM, 1