A l’instar des multitudes éprises de liberté, l’Ira célèbre, ce 10 décembre 2023, la journée
mondiale des droits de l’homme. L’occasion de partager, avec l’opinion, le passif mauritanien
en la matière, justifie une commémoration à la hauteur du défi. La lourdeur et l’ancienneté du
contentieux requièrent un constat dénué de complaisance. Si l’on doit se réjouir de l’arsenal
juridique et des tribunaux mis en place aux fins de pénaliser les crimes d’esclavage, l’on
constate, cependant, qu’aucun criminel n’a été emprisonné ; le blanchiment d’infractions aussi
graves et anachroniques reste l’unique option des autorités. D’ailleurs, les commanditaires et
auteurs de tueries, de déportations à visée ethnique continuent à jouir de l’immunité, tandis que
le nombre des préposées à la torture ne cesse de croître, d’une année à la suivante.
1. Pour ne citer que les exemples récents, l’on se souviendra de Souvi Jibril Soumaré, dit Ould
Cheïne, assassiné le 09 février 2023 au commissariat de police de Dar Naim (Nouakchott
sud). Les tortionnaires ont d’abord essayé de s’exonérer du forfait létal, avant de se rétracter
sous la pression de la rue. L’officier de police judiciaire et les exécutants sous son
commandement furent arrêtés et soumis à une instruction de justice ; néanmoins, les résultats
tardent. Quelques mois après, survint, le 29 mai 2023, à Sebkha (Nouakchott ouest), à
l’intérieur d’un bâtiment de la police et dans des circonstances de facture identique, le décès
de Oumar Diop, natif de MBagne (sud). Devant la flagrance de l’abus, la colère s’est emparée
d’une partie de la jeunesse urbaine, fragilisant davantage la cohésion de la société. Des
centaines d’adolescents, d’ascendance subsaharienne, seront traqués et suppliciés, parfois à
domicile, puis détenus durant 72 heures. Là aussi, la version officielle concluait à une mort,
par arrêt cardiaque, à l’Hôpital national. Or, le personnel médical certifie avoir accueilli, aux
urgences, un corps sans vie. Une sombre autopsie, effectuée au Maroc, viendra corroborer le
récit tronqué. D’ailleurs et jusqu’à ce jour, le site Facebook de la direction de la sûreté continue
d’afficher la thèse de deux accidents, alors même que le Parquet reconnaissait le caractère
violent du premier homicide et ordonnait la mise à l’écrou des persécuteurs. A cause du poids
de l’impunité et des réflexes grégaires de la médiocratie, la communication des organes en
charge du maintien de la paix suit un cours spécifique, que caractérise l’autonomie envers les
autres segments de l’Etat. A l’Etat de droit qui s’affiche, s’oppose l’Etat d’exception qui
prévaut ; sous la façade des slogans et du zèle factice à signer et ratifier les conventions
internationales, veille et se reproduit le monstre familier de la fraude, du double langage et des
faux semblants. Le vernis est si mince. Si Janus devait se choisir un passeport, il s’enrôlerait
en Mauritanie.
2. A la suite de la révolte devant la récurrence et la banalisation des brutalités racistes, le
gouvernement, pris de court, s’empressa de suspendre, pendant quelques jours, l’accès à
l’internet. Il s’agit, ici, d’un manquement délibéré à l’intégrité élémentaire de la personne,
derrière lequel se profile, toujours, la volonté de réprimer en silence, loin des regards. Pire, lors
des protestations à Boghé (sud), Mohamed Lemine Alioune N’Daiye, né en 1996, a été abattu,
d’un tir ciblé. Suivant une jurisprudence bien établie en République islamique de Mauritanie,
le tireur et le donneur d’ordre demeurent à l’abri de la moindre sanction. Leur identité relève
du secret.
3. Quasiment l’ensemble des démonstrations non-violentes de l’Ira suscitent, de la part des
unités anti-émeute, un déchainement de coups et blessures, d’une intensité disproportionnée.
Beaucoup de nos militants gardent les stigmates et les séquelles de la maltraitance ; ils en
témoignent sans répit ni exagération, photos et vidéo à l’appui.
4. Les atteintes à la dignité de l’individu et à la jouissance de ses droits civiques, n’ont épargné
les députés, tel l’honorable Biram Dah Abeid, plusieurs fois séquestré, maintenu en détention
préventive ou condamné des peines relevant du délit d’opinion.
5. La promulgation des normes sur la cybercriminalité ou des restrictions relatives à la
préservation des « symboles » rétrécit l’espace, fort exigu des libertés d’expression et
d’association. Aussi l’on retiendra, à titre d’illustration, l’extradition – de Dakar – et
l’emprisonnement de Youba Siby, un sympathisant de l’Ira, pourtant de nationalité sénégalaise.
Jugé en comparution expresse, il écopera de 4 années de réclusion. Le tribunal expéditif lui
reprochait des propos de réprobation du racisme et des inégalités de naissance. L’audience se
déroulait, en catimini, sans avocat même commis d’office, ni présence de la famille. La pseudo-
commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), tenta de faire avaliser la régularité de la
procédure, par le représentant accrédité à Nouakchott du Haut-commissariat des nations-unies.
6. En cette fin d’année 2023, les partis les plus représentatifs des peuples autochtones de
Mauritanie réclament la participation à la démocratie dont le statu quo les prive. Il convient de
souligner, en particulier, le cas des partis Radical pour une action globale (Rag) et Forces
progressistes du changement (Fpc).
7. Les populations dominées et discriminées aux motifs inavoués de la couleur, de la langue,
de la culture et de la généalogie, ne parviennent à obtenir les pièces d’état-civil biométrique,
point d’accès à l’exercice du vote.
8. Les rescapés et les héritiers des milliers de concitoyens déportés ou exécutés, de 1986 à
1991, ne peuvent plus dénoncer, en réunion publique, la loi d’amnistie qui absout les
responsables de telles cruautés. Une multitude d’entre eux, réfugiée aux Sénégal et Mali
voisins, continue à survivre dans la précarité et la morsure de l’exil. Les ministères en charge
du litige et de son règlement leur refusent le rapatriement organisé. Apatrides, de parents en
progéniture, ils écument des contrées hostiles, en quête de gîte et de couvert. Quiconque
s’insurge ou proclame sa solidarité avec eux se retrouve suspecté de racisme. En Mauritanie,
le raciste n’est jamais le tueur.
9. Malgré la disponibilité rhétorique du pouvoir à protéger, les femmes et les filles, contre les
excès séculaires du patriarcat, l’habitude de la duplicité face aux partenaires extérieurs, rappelle
cette manie de la dictature des militaires, qui consiste à servir un discours et son contraire,
selon la capacité financière de l’interlocuteur. Mieux encore, le projet de texte, passé sous la
censure du Haut-conseil de la fatwa et des recours gracieux, s’est perdu dans les méandres de
la bureaucratie. La fameuse instance de contrôle de conformité religieuse se place au-dessus
du Conseil constitutionnel et des titulaires de la souveraineté populaire. Ironie du sort, ses
membres ne sont pas élus. Enfin, depuis des semaines, le Parlement, quoique sous influence
des cercles obscurantistes, attend la première lecture du document.
10. Comble de l’horreur, l’article 306 du code pénal, dans sa mouture de 2018, étend la
liquidation physique à des infractions morales, comme le refus de prier, le blasphème, et
3 IRA (Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste) – Site : wwww.ira-mauritanie.org Tel : 0022231012887
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l’apostasie. Quand il supprime la faculté du repentir, il fait, de la Mauritanie, le seul pays
d’Afrique dont le dispositif légal consacre l’imitation de Daesh ; bien plus que l’Arabie
saoudite, l’Afghanistan, l’Iran, Brunei et les Maldives, réunis, nous nous sommes piégés, en
toute préméditation. Certes, l’Etat n’applique les prescriptions ainsi revendiquées mais, en les
maintenant dans le corpus des lois, il accorde, aux apprentis illuminés de demain, un formidable
outil de sauvagerie et de sexisme. « Gouverner, c’est prévoir et ne rien prévoir c’est courir à sa
perte », avertissait, dès 1852, le journaliste français Emile Girardin….
Nouakchott, le 10 décembre 2023