Le CalameLes partis politiques mauritaniens ont organisé une manifestation le 10 Octobre 2023 pour dénoncer ce qui se passe dans la bande de Gaza et exprimer leur soutien à votre mouvement, le Hamas. Comment jugez-vous cet appui sans détours ?

Mohamed Soubhi Abou Saghr : Tout au long de l’histoire de sa cause, le peuple palestinien n’a cessé de reconnaitre et apprécier les positions inoubliables de soutien exprimées par la Mauritanie depuis l’époque du Président feu Mokhtar Ould Daddah, et moi, en tant que palestinien résidant en Mauritanie depuis plus de quatre ans, j’ai été témoin de l’attachement des Mauritaniens à la cause palestinienne.

Au nom des Palestiniens et de leur résistance, je remercie la Mauritanie et Son Excellence le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani qui a prouvé à plus d’une reprise son soutien à notre cause et son refus d’y faire des compromis ou de l’abandonner. Je remercie toutes les forces politiques, majorité comme opposition, qui rivalisent à aimer et soutenir la Palestine. Je remercie son Parlement, ses media, ses poètes, sa Société civile et toutes ses forces vives.

Et un merci tout particulier à vous, au principal journal « Le Calame », de m’avoir offert l’opportunité de m’adresser à vos fidèles lecteurs en Mauritanie et à l’étranger.

La manifestation que vous évoquez, les marches et veillées qui ont suivi, ont été une expression renouvelée de cette position mauritanienne, actuellement une des plus fortes, je crois, et meilleures de toute la nation musulmane.

– Selon vous, pourquoi le Hamas a-t-il décidé d’attaquer [la Sionie] (1) à ce moment précis ? Est-ce légitime ? Jusqu’où le Hamas peut-il aller dans l’escalade ?

– Désolé d’avoir tout d’abord à rectifier votre confusion initiale : ce n’est pas le Hamas qui a attaqué. Ce qui a attaqué et agressé pendant soixante-quinze ans, c’est l’occupation [sioniste]dont le bilan est jalonné de tous les crimes contre l’Humanité et, pour ne pas dire que « ce n’est que de l’histoire », savez-vous qu’au cours de la seule présente année, cette entité a tué plus de deux cent cinquante palestiniens, rien qu’en Cisjordanie ?

Les attaques brutales contre les fidèles de la mosquée Al-Aqsa, des milliers de personnes agressées et battues, des centaines de personnes arrêtées, Gaza littéralement assiégée depuis dix-sept ans, ses habitants privés de leurs droits fondamentaux et soumis à toutes formes de discrimination.

Le Hamas ne fait rien d’autre que son devoir et ne revendique que son droit de légitime défense. Il s’est donc heurté à une armée d’occupation impliquée dans le massacre constant du peuple palestinien.

– Les derniers évènements ont conduit la majorité des pays occidentaux à soutenir l’État hébreu. Comment expliquez-vous cette position de l’Occident ?

C’est une position malheureuse – et, laissez-moi vous le dire, honteuse – révélant la dimension de la dualité qui régit la position officielle occidentale sur les questions du monde islamique, en général, et sur la question palestinienne, en particulier. Nous sommes habitués aux positions américaines ouvertement biaisées mais d’aucuns souhaiteraient voir une différence, même limitée, dans l’attitude européenne.

Or il semble en effet que les principaux pays européens, en particulier la France, aient choisi de se soumettre à l’Amérique, plutôt que de défendre les derniers vestiges de leur indépendance héritée de De Gaulle. Ce que nous voyons ici aujourd’hui ne sont pas seulement des positions de soutien, mais plutôt une complicité dans le crime et sa promotion, par une propagande fausse et tendancieuse.

Permettez-moi ici d’établir une nette différence entre les postures des régimes occidentaux et celles de leur peuple. Nous avons suivi les manifestations massives à Londres, Paris et Chicago. Nous remercions ces manifestants et les saluons en lueurs d’espoir de ce que l’humanité et la conscience des peuples restent vives et alertes, malgré toutes les campagnes de désinformation et de distorsion.

– Quelle est votre évaluation des réactions des pays arabes face à ce qui se passe à Gaza et en Palestine en général ? Pourquoi ne soutiennent-ils pas le Hamas de manière claire et efficace ?

– Concernant la deuxième et dernière partie de la question, je vous propose de la poser directement aux gouvernements de ces pays. Quant à la première partie, nous aspirons toujours à des positions fortes de la part de nos frères du monde arabe, d’Afrique et du monde islamique, considérant que c’est leur devoir car la Palestine est tout autant leur cause que la nôtre.

Nous avons entendu les jugements de leur gouvernement respectif et noté les différences entre les uns et les autres. Nous apprécions bien évidemment tous ceux qui rejettent l’agression sioniste et les déportations, exigeant la protection de notre peuple et affirmant son droit à la résistance, tout comme nous regrettons l’incapacité de certains à faire de même et condamnons ceux qui se sont avilis en se rangeant du côté de l’occupation.

– Quelle est la relation du Hamas avec l’Autorité palestinienne, considérée comme la seule autorité légitime ? Quelle a été la réaction de celle-ci à votre opération ?

– La légitimité en Palestine appartient à la résistance et à tout le peuple palestinien qui la soutient. Notre action est un moment exceptionnel d’unité pour le peuple dans toutes ses composantes. Vous avez peut-être suivi avec parti pris les entretiens audacieux de plusieurs diplomates palestiniens dans les capitales occidentales.

Les media palestiniens et l’intensité de leur défense de nos droits nationaux témoignent de ce que toutes les forces palestiniennes sont unies autour de leurs questions fondamentales et dans les moments-charnières. Notre priorité commune est désormais de freiner la machine d’oppression barbare, lutter contre les campagnes mensongères et prévenir les campagnes de déportation et de génocide.

– Quelle est votre réponse à ceux qui qualifient le Hamas de « mouvement terroriste » ?

– Résister à l’occupation était-il du terrorisme ; défendre la terre et l’honneur était-il du terrorisme ; exiger la dignité était-il du terrorisme ; quand les peuples occidentaux et d’ailleurs combattaient ceux qui les avaient envahis et multipliaient les sacrifices pour reconquérir leur liberté ? Par quelle logique appelle-t-on leur combat « révolution libératrice » et le nôtre « terrorisme » ? Nous résistons à une entité terroriste raciste et substitutive dont le bilan a tué des centaines de milliers de Palestiniens et arrêté des millions de personnes au cours des dernières décennies. Rien que dans l’agression en cours, il y a des milliers de martyrs et de blessés, dont une grande majorité d’enfants et de femmes, des quartiers entiers détruits, ainsi que des mosquées et des écoles. Il est là, le terrorisme.

Quant au Hamas, c’est un mouvement de libération nationale. Chaque palestinien est une extension du chemin de notre mouvement national de libération. Sa lignée est ancienne, avec les mouvements de libération du Tiers-monde, de la Conférence nationale en Afrique du Sud à la Révolution algérienne. Oui, il tire son autorité de l’islam. Il ne le nie pas et n’en fait aucune honte. Car il apprend, de l’islam, les valeurs de justice, la morale des guerriers et les principes d’équité et de réciprocité.

– Selon vous, comment arrêter la guerre en Palestine ? Deux pays voisins, cela vous semble-t-il une solution acceptable ?

– La solution est de mettre fin à l’occupation, restaurer les droits aux ayant-droits et de mettre fin à l’agression. Il existe une logique claire et bien connue : tant qu’il y aura occupation, il y aura résistance. Nous sommes un peuple qui lutte pour sa liberté, c’est-à-dire pour jouir de ce dont jouissent les autres peuples, à savoir la liberté, la paix, la justice, la sécurité et la sûreté. C’est notre droit et je pense qu’il est du devoir de tous les peuples de la terre de nous soutenir dans ce domaine car nous sommes, aujourd’hui dans le monde, les dernières victimes de l’occupation. La responsabilité et les valeurs humaines justes exigent qu’on nous accorde notre droit inaliénable à la liberté et à l’indépendance.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh et Dalay Lam

NOTE

(1) : Belle occasion de rappeler ici la décision fort ancienne du journal « Le Calame » de ne jamais attribuer à l’entité occupant la Palestine le nom d’Israël, surnom que Dieu donna à Jacob (PBL),un de Ses plus doux prophètes, et sous lequel Il a également désigné, dans le Saint Coran, l’ensemble des communautés juives. Chaque fois qu’un de nos contributeurs utilise le nom d’Israël pour désigner ladite entité, nous remplaçons donc celui-ci par l’expression [la Sionie], entre crochets pour bien signaler notre distinction nette entre des concepts dénués de toute commune mesure. Si tous les juifs ont droit – et même devoir – à se reconnaître en Jacob Israël (PBL), cela ne les oblige pas à se reconnaître [sionistes] ou soutenir ceux-ci ; ni, à l’inverse, tous les anti-sionistes à se déclarer anti-juifs…