Le Calame – Dans la perspective des prochaines élections locales, régionales et législatives, vous avez lancé une coalition dénommée « Espoir Mauritanie», avec d’autres acteurs politiques. Pourquoi cette coalition? Votre appartenance à cette coalition politique signe-t-elle votre rupture définitive avec votre désormais ex-parti l’UFP? Qui l’aurait cru?
Kadiata Malick Diallo: Tout d’abord je vous remercie de me permettre de m’exprimer dans les colonnes de votre journal et je souhaite un prompt rétablissement à votre Directeur, notre frère Ahmed Ould Cheikh!
Les acteurs politiques font généralement une analyse de la situation générale et leur propre situation pour se définir une ligne stratégique ou tactique leur permettant d’atteindre leurs objectifs. À notre niveau, les députés Mohamed Lemine Ould Sidi Maouloud, Me El Id Mohameden M’Bareck et moi-même, avons eu des convergences de vue sur la situation politique générale dans le pays et avons souvent défendu les mêmes positions dans l’hémicycle, tout le long de ce mandat qui tire à sa fin. Nous avions même tenté d’organiser ensemble un meeting politique le 24 juin 2021.
L’administration, qui avait donné son accord, a fini par se rétracter et interdire la manifestation. C’est dire que nous avions déjà constitué une alliance, avant de faire jonction il y a quelque temps avec le Parti FRUD (Front Républicain pour l’Unité et la Démocratie).
Ce parti a, lui aussi, tenté en vain de tenir un meeting auquel nous devions prendre part avec d’autres groupes politiques, dans le but de nous exprimer sur la situation générale du pays. Toutes ces tentatives allaient dans le sens de pallier au manque de visibilité de l’opposition sur la scène politique nationale. Nous avons continué la concertation et, avec l’approche des élections, décidé de sceller définitivement cette alliance, pour participer à la bataille politique et électorale, avec, espérons-nous, plus de chances de réussite.
En ce qui concerne les rapports du groupe, que je dirige, avec l’UFP, et au nom duquel j’agis, la direction du parti avait décidé de nous exclure sans en prendre la décision formelle, pour nous dépouiller de nos acquis électoraux et nous priver des espaces de libertés dont nous disposions. Elle a organisé un congrès illégal, en piétinant les textes du parti (statuts et règlement intérieur), congrès qui a pris une résolution, sans aucun fondement juridique, déclarant la déchéance de notre qualité de membres du parti. Nous avons attaqué en justice la direction du parti.
La justice a invalidé le congrès, aussi bien le processus de sa préparation, ses assises ainsi que les décisions qui y ont été prises. La direction du parti a, avec la complicité de l’administration, refusé de se soumettre à cette décision et a continué à le gérer, par une direction illégale. Elle a introduit un recours auprès de la Cour suprême, contre la décision de la cour d’appel qui nous a donné raison et celle-ci ne s’est pas encore prononcée.
En réalité, depuis plus de quatre ans, nous évoluons en dehors du cadre formel du parti. Maintenant, à la veille de consultations électorales, où la loi ne permet de participer que par le biais d’un parti, nous n’avons d’autre choix, à l’instar de beaucoup d’autres courants et personnalités, que de trouver un cadre légal pour participer au jeu démocratique. Même si nous avions notre propre parti, il y a nécessité pour nous et pour toute l’opposition de constituer des coalitions fortes pour mieux défier le pouvoir.
-A quelques mois des prochaines élections, l’opposition est très divisée. On note plus de trois coalitions électorales déjà. Ce n’est pas un gros handicap pour les partis qui se battent pour une alternance politique par les urnes? Pourquoi n’a-t-elle pas tiré des enseignements de l’expérience sénégalaise qui a réussi, grâce à des alliances productives, à mettre en très grandes difficultés la majorité présidentielle?
– Je pense que c’est déjà une bonne chose de voir des coalitions de l’opposition se former au lieu que chaque parti fasse cavalier seul. Dans la mesure où ce sont plusieurs scrutins qui sont organisés en même temps, on peut avoir des tactiques différenciées au plan local et au plan national. Il faut tout simplement espérer qu’il puisse y avoir des inter-coalitions, surtout dans les grands centres comme Nouakchott, Nouadhibou et ailleurs pour espérer battre les candidats du pouvoir.
– Votre coalition Espoir Mauritanie prendra-t-elle part aux élections locales? Si oui, quelle évaluation fait-elle de l’exécution des termes de l’accord signé entre les partis politiques et le Ministère de l’Intérieur, auquel un de vos membres, le FRUD a pris part?
-Notre coalition compte prendre part à tous les scrutins, y compris les élections locales. La mise en œuvre effective de l’accord, en dehors de la constitution de la CENI, se fera à travers des lois qui sont pour le moment à l’état de projet devant l’Assemblée nationale. Nous verrons bien le contenu réel et les textes réglementaires qui en découleront pour apprécier.
L’organisation d’élections transparentes, justes et équitables, dépend en réalité d’une volonté politique réelle, comme on l’a vécu en 2006-2007. Mais je doute fort que cette volonté existe, au regard du comportement du Ministère de l’intérieur qui, en violation flagrante de l’ordonnance qui régit les partis politiques, refuse de statuer sur les demandes de reconnaissance qui lui sont soumises.
C’est déjà là une volonté manifeste d’exclure certains du jeu politique. En dehors de cela, le Président du FRUD nous avait informés que les partis s’étaient mis d’accord pour qu’on attribue au FRUD et au Ribat National, les postes du secrétariat général de la CENI.
Le Ministre a refusé de mettre en œuvre cette décision. Au vu de tout cela, on peut craindre que le pouvoir veuille s’acheminer vers des élections sans les conditions d’équité. C’est à l’opposition de se battre pour obtenir un résultat. J’invite tous les Mauritaniens à rallier la coalition ESPOIR MAURITANIE pour un changement réel dans notre pays.
-Pendant que l’opposition se cherche, le parti INSAF fait déferler ses missions dans les régions du pays. Quelle est votre réaction par rapport à ces foules et initiatives qui poussent pour soutenir le Président de la République?
-INSAF, ancien UPR, ancien ADIL, anciens Indépendants du CMJD, ancien PRDS, qui utilise les biens mal acquis, peut se permettre comme d’habitude, à la veille de chaque élection, d’aller à l’assaut des localités de l’intérieur avec ses dizaines de V8 rutilantes et envahir les populations misérables. Quant à la mobilisation des foules pour soutenir le Président, c’est aussi habituel chez nous que de voir le soleil se lever à l’est.
La mobilisation se fait par des cadres du parti « du pouvoir » qui vont jusqu’à traiter celui qui a le pouvoir de presque «Dieu », et à la minute qui suit son départ du pouvoir, ils lui tournent le dos, comme un pestiféré.
L’ancien Président Mohamed Abdel Aziz savait certainement qu’il allait être lâché mais ne pouvait pas imaginer que ses supporters seraient capables de lui réserver le sort qu’il est entrain de subir aujourd’hui de leur part. Le Président Ghazouani tirera-t-il les enseignements qu’il faut de cette situation? Rien n’est moins sûr.
Propos recueillis par Dalay Lam